Si nous définissons l’œcuménisme comme le mouvement d’unité des chrétiens en une seule Église, sainte, universelle et apostolique, l’œcuménisme a commencé dès l’époque du Nouveau Testament; et la question œcuménique, tout actuelle qu’elle soit, est une question fondamentale et permanente que Dieu n’a cessé, ne cesse, et ne cessera pas de poser aux membres du Corps du Christ.
Deux textes néo-testamentaires sont essentiels quant à l’œcuménisme et à la question œcuménique : Jean 17 et Ephésiens 4(1). Au reste, deux versets de ces textes essentiels sont fréquemment cités: Jean 17:21: « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé », et Ephésiens 4:13 : « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ ».
Si, comme il se doit, nous recevons et entendons ces versets dans leurs contextes immédiats (Jean 17 et Ephésiens 4) et dans le contexte de tout le Nouveau Testament, nous remarquons que l’indiscutable œcuménisme qu’ils proposent ne tend pas vers n’importe quelle unité ou vers quelque unité-en-soi, mais très précisément vers l’unité authentique « personnelle et spirituelle, en accord avec l’analogie suprême de l’union du Père et du Fils » qui implique la fidélité au Christ Jésus de l’Écriture Sainte et à l’Écriture Sainte du Christ Jésus, à la Parole incarnée et à la Parole écrite.
Autrement dit, en distinction de l’œcuménisme inconditionnel trop souvent à la mode, l’œcuménisme évangélique est fait de soumission à la Vérité de Dieu révélée en Jésus-Christ et en la Sainte Ecriture. C’est dire que l’œcuménisme évangélique qu’ICHTHUS, Dieu voulant, entend promouvoir, ne part pas d’abord des institutions ecclésiastiques et ne vise pas d’abord les institutions ecclésiastiques, mais part d’abord de la foi en la Parole de Dieu et vise d’abord la foi en la Parole de Dieu, ce qui conduit ensuite, mais ensuite seulement, à la préoccupation des institutions ecclésiastiques.
Si nous relisons Jean 17, nous voyons que Jésus y désigne les Siens comme ceux qui ont gardé la Parole de Dieu (verset 6) parce que cette Parole leur a été donnée et qu’ils l’ont reçue (verset 8); Jésus demande à son Père que les Siens soient sanctifiés par la Vérité – et c’est la Parole de Dieu qui est la Vérité – (versets 17 et 19).
Si nous relisons Éphésiens 4, nous voyons que les membres du Corps du Christ ne doivent pas être « des enfants flottants et emportés à tout vent de doctrine par la tromperie des hommes, par leur ruse dans les moyens de séduction » (verset 14), mais qu’ils doivent « professer la vérité dans l’amour » (verset 15).
La Parole – la Vérité de Dieu – passe donc avant l’unité; car une certaine unité peut se faire sans la Vérité, hors de la Vérité, et même contre la Vérité; tandis que la Parole – la Vérité – de Dieu ne peut être connue et vécue sans conduire dans l’unité vraie qui est amour de Dieu et des frères. Plusieurs, profondément engagés dans ce qu’on appelle le « mouvement œcuménique », en ont conscience; ils ont cependant besoin, comme nous, que Dieu les garde des pressions si diverses qui s’exercent alentour.
Le mirage de la seule unité institutionnelle, de la constitution d’une seule «Église » syncrétiste mondiale, à laquelle certains poussent aujourd’hui les chrétiens sous le paravent de « l’œcuménisme », est une tentation mortelle à la fois pour les chrétiens et pour le monde: pour les chrétiens, car alors ils ne « garderaient » plus la Parole – la Vérité – qui leur a été « donnée» et qu’ils ont « reçue » et se laisseraient « emporter à tout vent de doctrine »; pour le monde, car alors le témoignage fidèle de l’Église à la Parole – à la Vérité – serait remplacé par une confusion massive effroyable et strictement scandaleuse» empêchant les hommes de croire en Celui que Dieu a envoyé.
Il convient donc de dissiper le mirage, si fascinant qu’il soit, et de repousser avec rigueur la tentation démoniaque du faux « œcuménisme ».
II
En fait, selon le dessein immuable de Dieu qui nous est révélé dans l’Écriture Sainte, il est une Église une, sainte, universelle et apostolique, mystère de foi confessé par les chrétiens dans le Symbole des Apôtres et le Symbole œcuménique de Nicée-Constantinople.
Cette unique et indéfectible Église est le peuple de Dieu (1 Pierre 2:10), le troupeau dont Jésus-Christ est le berger (Luc 12:32 ; Marc 14:27), le corps du Christ (Éphésiens 4:12), l’épouse de l’Agneau (Jean 3:29; Apocalypse 19:7 ; 21:2 et 9 ; 22:17), le temple de Dieu où habite l’Esprit (1 Corinthiens 3:16), la colonne et l’appui de la Vérité (1 Timothée 3:15).
Le Christ Jésus connaît Ses brebis et elles Le connaissent. II les amène en Son Église. II a donné Sa vie pour elles. Elles entendent Sa voix. De la bergerie d’Israël et de partout dans le monde, II les réunit en un seul troupeau dont Il est le seul berger (Jean 10:14-16).
Usant sept (symbole de totalité et de perfection) fois du mot « seul », l’apôtre Paul, dans sa lettre sur l’Église, affirme: «II y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous, et en tous» (Éphésiens 4:4-6). Parce qu’elle est cachée « en Christ », qui fait ou plutôt qui est son unité, I’ Église est invisible aux yeux des hommes. « Abscondita est Ecclesia, latent sancti » (« Hors de vue est l’Église, dissimulés sont les saints »), disait Luther.
Cette invisibilité de la sainte Église œcuménique est une réalité spirituelle, un mystère de foi. Ce mystère fait un avec le mystère du Christ Lui-même, car le « corps » fait un avec la « tête » et ne peut en être séparé.
Dieu, Lui, voit ce que les hommes ne peuvent voir, et donne aux Siens de le croire, ou, si l’on veut, de le voir par les yeux de la foi.
III
Et pourtant, l’œcuménisme évangélique – c’est-à-dire l’œcuménisme selon la Parole de Dieu – ne peut et ne doit en rester à la seule «vision » de l’Église « invisible ».
Pour la seule raison que l’Église de Jésus-Christ a toujours été, est, et sera toujours aussi, visible. Non pas qu’il s’agisse d’une autre Église, comme s’il y avait deux Églises : l’Église invisible et l’Église visible. Mais parce que l’Église invisible a toujours eu, a, et aura toujours, une manifestation visible dans l’Histoire, partout où des fidèles ont été, sont, et seront assemblés par la Parole et les sacrements de Dieu.
Aussi, l’unité de l’Église, qui est déjà, cachée en Christ, doit sans cesse être cherchée et mieux réalisée, historiquement, ici-bas, par les chrétiens qui se veulent fidèles à la Parole de Dieu. Non pas n’importe quelle unité ! Non pas l’unité à tout prix ! Non pas l’unité-en-soi ! Non pas l’unité pour l’unité ! Cela, c’est le mirage et la tentation du faux œcuménisme! Mais l’unité véritable dans la foi vivante en Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur (ICHTHUS).
C’est en pleine Histoire, dans le domaine des réalités visibles, en un lieu et en un temps donnés, que l’apôtre Paul a posé aux chrétiens de Corinthe, et nous pose à nous aussi, l’inéluctable question : « CHRIST EST-IL DIVISÉ ? » (1 Corinthiens 1/13).
Il ne nous appartient pas de savoir si l’Eglise pourra, ou non, devenir visiblement vraiment une – une, je le répète, d’une vraie unité – avant l’accomplissement de l’Histoire. C’est le secret de Dieu. Les opinions, sur ce point, peuvent diverger.
Mais il est certain, à la lumière du Nouveau Testament, que nous devons travailler à cette unité et combattre pour elle – et d’abord dans la prière – de tout cœur.
Il ne faut tomber ni d’un côté, ni de l’autre: d’un côté il y a le danger – nous l’avons dit – du mirage et de la tentation de l’édification d’une seule « Église » syncrétiste mondiale; comme si la constitution au mépris de la Parole de Dieu d’une telle «Église visible était l’idéal à poursuivre; mais de l’autre côté il y a le danger de se satisfaire tellement de la seule unité de l’Église invisible que le devoir impératif de manifester visiblement cette unité – dans la fidélité à la Parole de Dieu – est trop souvent méconnu ou ignoré; d’un côté on tombe dans le confusionnisme, seule comptant l’unité visible de l’Église; mais alors ce n’est plus l’unité de l’Église; de l’autre côté on tombe dans le sectarisme, seule comptant l’unité invisible de l’Église; mais alors ce n’est plus l’unité de l’Église.
IV
Grâce à Dieu, ces derniers temps, les chrétiens évangéliques, quelles que soient les Églises, les dénominations, auxquelles ils appartiennent, prennent une conscience de plus en plus vive du danger du sectarisme. Sans tomber pour cela dans le confusionnisme ! Sans en être encore à considérer la multiplicité des dénominations « comme un vice plutôt que comme une vertu » (4), ils se rapprochent de plus en plus les uns des autres.
Il n’est pas possible, dans cet article, de considérer la situation à l’échelle mondiale. Mais l’œcuménisme évangélique doit se manifester et se réaliser d’abord dans les tâches prochaines que le Seigneur place devant nous. Qu’en est-il en France ? Quelques réponses à cette question pourront être profitables non seulement aux chrétiens évangéliques en France mais, à tous les chrétiens évangéliques d’expression française : en Suisse, en Belgique, au Canada, en Afrique, etc.
Il me semble qu’il faut d’abord saluer avec reconnaissance le début d’un renouveau théologique dans les milieux évangéliques. La rencontre de Vennes en 1967 (« Les Trois Amis »), l’établissement récent de la Faculté de Théologie de Vaux-sur-Seine en sont des signes.
Toutes les époques de renouveau, de réformation, de réveil, dans l’histoire de l’Église, ont été des époques de redressement doctrinal. La lecture et l’étude du Nouveau Testament montrent l’importance que Jésus et Ses apôtres donnent à l’aspect doctrinal de la foi chrétienne. L’aspect pratique, l’aspect éthique, de la foi est toujours établi sur l’aspect doctrinal. L’étude de l’histoire de la Réformation montre aussi l’importance qu’y a jouée la doctrine.
A la suite de Klass Runia, je pense que les chrétiens évangéliques peuvent et doivent s’entendre, sans ambiguïté et nettement :
a) sur les doctrines œcuméniques de la Trinité et des deux natures divine et humaine de notre Seigneur Jésus-Christ ;
b) sur les grandes doctrines de la Réformation: l’autorité indiscutable de la Parole écrite de Dieu tout entière inspirée, et la justification du pécheur par grâce par le moyen de la foi.
Quant au reste je pense particulièrement, en partie à la suite de Runia, aux doctrines concernant les sacrements, la souveraineté efficace de la grâce, l’organisation ecclésiale – nous pourrons les explorer ensemble, étant entendu que « nous avons un fondement commun dans la Parole de Dieu que nous voulons tous accepter inconditionnellement. Peut-être découvrirons-nous que « nous sommes plus d’accord ou que nous pouvons plus vite tomber d’accord que nous le croyons maintenant possible ».
Par exemple, un motif de gratitude et d’encouragement me paraît être l’existence, à Paris, depuis plus de deux ans, du cercle d’études de théologie évangélique qui groupe des pasteurs (et pas seulement des pasteurs !) d’Églises Luthériennes, baptistes, réformées, libres, etc. Six ou sept réunions par an permettent à ces pasteurs évangéliques de s’entretenir, de travailler, et de prier ensemble. Le lancement d’ICHTHUS n’est pas seulement celui d’une revue mais compte être, Dieu voulant, l’amorce d’un mouvement s’exprimant (entre autres) par la revue.
Mais, derrière et avant ce qui se met aujourd’hui en place, il y a ce que Dieu avait déjà suscité et qui continue: je pense en particulier au centre évangélique de Nogent-sur-Marne et à l’Alliance évangélique, mais bien d’autres choses viennent à nos esprits.
Un mot pour terminer.
Nous sommes en un temps difficile (mais y-a-t-il jamais eu pour la fidélité, l’obéissance, et la prière des chrétiens un temps facile ?)
Dieu nous demande certainement l’exercice approfondi de plusieurs vertus, d’où notre appel au Saint-Esprit pour qu’Il nous les donne : l’humilité, c’est-à-dire le rabaissement de notre inévitable et toujours renaissant orgueil ; l’amour des frères, même si sur certains points secondaires nous sommes provisoirement en désaccord;
l’ «hupomonè » (l’endurance, la persévérance, la patience) ;
et, pour tout animer, dans nos cœurs et dans la communauté que nous formons ensemble :
l’espérance.
Le combat dans lequel le Seigneur nous a engagés, par grâce, est un dur et peut-être long combat. « Nous n’avons aucune garantie que la solution est là toute proche. Il est bien possible que nous ayons à traverser des jours sombres ».
Mais Dieu nous envoie. Nous ne pouvons rester passifs. Les promesses du Seigneur suffisent à notre foi. Bon courage !
1- « The Basis of Christian Unity » par le Dr Martyn Lloyd-Jones, 1962.
2- « Guidelines », édité par le Dr J. L. Packer, 1967, page 150.
3- Idem page 153.
4- « The Glorious Body of Christ » par le Dr R. B. Kuiper, sans date, p. 46.
5- « Réformation Today » par D. Klass Runia, 1968, page 130.
6- « Œuvres de Martin Luther » II, traduction française d’André Jundt, 1947, pages 235 et suivantes.
Que fait ICHTHUS sur Évangile 21 ? Découvrez-le : ICHTHUS, la théologie évangélique “à la française”