La pensée religieuse de l’Ecclésiaste peut être envisagée sous trois rubriques : l’anthropologie (ou doctrine de l’homme), l’éthique (morale) et l’au-delà.
1. Anthropologie
L’anthropologie de l’Ecclésiaste est essentiellement hébraïque. Elle reproduit tous les traits de la conception biblique telle qu’on la trouve dans Genèse 2:7. Elle distingue dans l’homme la chair (basar), l’organisme matériel, corporel, siège des impulsions mauvaises, l’esprit (rouah), souffle divin insufflé à l’homme par le Créateur et qui est le principe de toute vie humaine (Genèse 2:7), son principe spirituel.
De ce principe l’homme n’est point le maître ; le souffle divin peut lui être retiré d’un moment à l’autre (Ec 8:8). Il vient de Dieu et il retourne à Dieu. Il y retourne pour la vie éternelle ou pour le jugement (Jean 5:29). C’est ainsi que « la poussière (le corps charnel, fait de la poussière de la terre) retourne à la poussière, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a créé» (Ec 12:9).
L’Ecclésiaste distingue encore la néphesh, que l’on traduit constamment par âme dans l’A.T. C’est la personnalité psychologique.
L’Ecclésiaste distingue enfin le leb, le cœur, dont il fait le centre de la personnalité, le foyer des affections diverses, bonnes ou mauvaises. Il désigne tour à tour la raison (Ec 2:3, 15 ; Ec 7:22 ; Ec 10:2), ou la volonté, la sensibilité, les facultés d’intuition, de jugement (Ec 2:10, 20 ; Ec 3:11 ; Ec 8:5, 16) ou de connaissance (Ec 1:13, 17 ; Ec 7:25 ; Ec 8:16). Le leb correspond à l’âme qu’il définit plus expressément.
L’anthropologie de l’Ecclésiaste correspond ainsi à celle de l’apôtre Paul et de toute la Parole de Dieu : l’homme est esprit, âme et corps.
Sur la destinée de l’homme, l’Ecclésiaste dit peu de chose sans doute : « La poussière retourne à la poussière et le souffle (l’esprit) retourne à Dieu » (Ec 12:9). Sur la rétribution, rien de précis. Pourtant l’auteur n’assigne pas au juste et au méchant le même aboutissement (Ec 7: 29 ; Ec 8:12-13). N’est-ce pas là l’intuition prophétique des solutions futures de l’Évangile ? (Jean 5:29).
2. Éthique
La doctrine morale de l’Ecclésiaste se meut autour d’un thème pour lui fondamental : le profit. « Quel profit revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil (1:3)
Le bonheur ne se trouve même pas dans la vertu ou la pratique de la justice. L’expérience montre que des justes vivent et meurent dans la misère, tandis que des insensés prolongent leurs jours (Ec 7:15 ; Ec 8:14). Pour les uns et les autres, la mort supprime toute espérance de rémunération terrestre. Ce n’est pas ici-bas que nous devons voir les fruits de la justice et de la foi.
La règle de vie. — L’Ecclésiaste serait-il un pessimiste invétéré ? Un ascète ? Non. Le réalisme de son expérience ne saurait exclure l’usage de tous les biens considérés comme dons de Dieu (Ec 2:24 ; Ec 9:7-9). Il veut qu’on jouisse de ces dons, mais modérément, car, dit-il, « chaque chose est belle en son temps » (Ec 3:11). Et c’est là encore un don de Dieu (Ec 3:13).
D’autre part, l’Ecclésiaste enseigne le jugement de Dieu. Sa conclusion consiste précisément dans l’union de ces deux idées : 1. Il est permis, il est bon de jouir de la vie. — 2. Mais il faut en même temps se souvenir de son Créateur et se dire que Dieu nous fera paraître un jour en jugement devant Lui, afin que la jouissance légitime ne dégénère jamais en sensualité.
La morale de l’Ecclésiaste est à la fois opposée à l’ascétisme et profondément axée sur la justice divine. Nos œuvres seront passées au crible de la justice divine et recevront là leur récompense (Ec 12:16). L’homme doit se préparer dès ici-bas à ce jugement (Ec 12:1-9). (Lire plus spécialement Ec 12:1, 3-4, 9).
Sur la question du jugement, l’Ecclésiaste fait écho aux déclarations de saint Paul (1 Corinthiens 4:5 ; 2 Corinthiens 5:10). Son « vanité des vanités » qui revient si souvent sous sa plume n’est pas l’expression d’une détresse morbide ou d’un pessimisme désabusé. Ce qui est vain, c’est la poursuite des biens terrestres pour eux-mêmes, c’est l’effort de l’homme qui ne compte que sur lui (Ec 1:2-3). Mais que l’homme craigne Dieu, c’est-à-dire qu’il mette en Lui sa confiance et son espérance ; qu’il suive ses commandements et cherche à lui être agréable (Ec 5:6b ; Ec 12:15). « C’est là ce que doit tout homme » (Ec 12:15), ou c’est là le tout de l’homme. Hors de Dieu, tout est vanité. En Dieu, tout est plénitude. Hors de Dieu, la morale est fondée sur le profit, l’intérêt, l’utile ou l’agréable, autant d’aiguillons égoïstes et fugitifs. En Dieu, la morale est fondée sur l’amour sans limite, sur la vérité absolue, sur les promesses d’un salut éternel. Craindre Dieu, aimer Dieu, vivre pour Dieu, voilà le secret du bonheur.
Á travers sa propre expérience, et sous une plume parfois rude et déconcertante, la pensée philosophique de l’Ecclésiaste est dans la ligne de la Révélation.
3. L’au-delà, ou la vie après la mort
Pour l’Ecclésiaste, la vie après la mort ne fait aucun doute. Elle ressort de sa croyance au jugement (Ec 12:16), comme à celle du bonheur réservé aux justes. Sa doctrine de la rétribution postule une vie future, aussi bien d’ailleurs pour les impies que pour les justes (Ec 3:14, 17 ; Ec 9:10b).
Toutefois, on ne trouve aucune déclaration précise sur la condition de cette vie.
Pourtant, à l’encontre de certains textes des Psaumes, ou de Job, qui ne font aucune discrimination entre le sort des justes et des impies après la mort, estimant que le séjour (sinistre) des morts doit être le lot des uns et des autres (Job 10:20 ss), l’Ecclésiaste laisse entendre nettement que le sort des uns ne sera pas celui des autres, que le séjour des morts ne sera pas le lot des justes.
Dans le passage Ec 9:10, où il affirme qu’il faut descendre dans le scheol, où il n’y a ni travail, ni pensée, ni sagesse, l’Ecclésiaste songe évidemment à la vie somnolente des ombres, telle qu’elle nous est décrite par Job 10:20-22. Mais cette idée n’est plus maintenue, d’une descente fatale aux enfers, dans l’exhortation finale, où il est dit que l’esprit retourne à Dieu pour être jugé (Ec 12:9).
Ou, plus exactement, si l’idée du scheol subsiste encore chez l’Ecclésiaste, elle ne saurait s’appliquer qu’aux impies pour en souligner le sort misérable. Quant aux justes, si le corps retourne à la poussière et l’esprit vers Dieu, il ne saurait y avoir pour eux aucune place dans le sombre scheol. D’autre part, pour le juste dont l’esprit retourne à Dieu, il ne peut y avoir d’autre condition que celle de la vie éternelle en Dieu.
L’Ecclésiaste ne nous dit pas autre chose sur la vie d’outre-tombe. Il semble que ce penseur sagace ne se soit posé qu’une question : peut-il y avoir une vie après la mort ? A cette question qui troublait son âme éprise de vérité et surtout de justice, il a répondu par l’affirmative. Il n’a pas osé, ou pas cherché à aller plus profond, non qu’il n’ait songé qu’on pouvait essayer d’aller plus loin, mais sans doute parce que la réponse positive à sa question devait suffire à rasséréner son âme. La certitude d’une vie après la mort lui suffisait parce qu’elle impliquait le jugement de Dieu, c’est-à-dire le triomphe de la justice de Dieu qui rendrait à chacun selon ses œuvres.
Convaincu de son ignorance, et des limitations de son esprit, l’Ecclésiaste s’est arrêté sur le seuil du comment de la vie future, s’en remettant à cet égard à la sagesse infinie de Dieu.
Imitons l’exemple de l’Ecclésiaste. Certes, Jésus-Christ a projeté sur la vie éternelle des clartés nouvelles : il nous a dit qu’il prendrait les siens avec lui (Jean 14:3). L’Évangile affirme que Dieu a préparé à ses rachetés une Cité qui est dans les cieux, et que nous serons rendus semblables au Christ glorieux (Philippiens 3:20-21). Nous avons les magnifiques affirmations du voyant de Patmos (lire Apocalypse 22:3-5; 21:3-4). Mais notre curiosité voudrait plus encore que ces promesses à l’allure négative : « Il n’y aura plus… » Et pourtant, combien riches sont ces promesses que ne possédait pas l’Ecclésiaste et tous les hommes de l’ancienne alliance !
Crions à Dieu notre reconnaissance pour le don du Nouveau Testament, et, plus privilégiés que l’Ecclésiaste, imitons son exemple. Dieu ne peut nous faire voir aujourd’hui ce que nos yeux de chair ne peuvent voir. Acceptons ses merveilleuses promesses, saisissons-les par la foi, et fondés sur son amour en Jésus-Christ, attendons avec confiance le jour où ces promesses deviendront pour nous la réalité.
Ainsi, l’Ecclésiaste adresse-t-il aux chrétiens un appel à la foi, à une foi vraie, simple, sans réserve ; et aux incroyants l’avertissement solennel du jugement (Ec 12:15-16).
André Lamorte, Ichthus N°15, Juillet-Août 1971, pages 21 à 24
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