Archibald Alexander, premier membre du Séminaire de théologie de Princeton, a reçu le titre de « professeur de didactique et de théologie polémique ». Cela peut nous sembler un peu alarmant, du fait que le terme « polémique » a de nos jours une connotation surtout négative. Mais à l’origine, pour le Séminaire de Princeton, la théologie polémique était considérée comme une disciple indépendante de l’exposition positive de la théologie systématique.
Alexander l’enseignait comme un cours à part qui distinguait l’orthodoxie des points de vue opposés. Si vous jetez un coup d’oeil à la liste des sujets qu’il couvrait, vous verrez qu’il accordait une grande importance à guider les étudiants dans le discernement et la réfutation de l’erreur théologique. Il est aussi étonnant de voir qu’Alexander incluait dans son cours une séance sur « les méfaits de la controverse théologique ». En d’autres termes, il se souciait de deux erreurs opposées, refuser toute polémique, et conduire la polémique de la mauvaise manière.
George Gillespie, un membre du clergé écossais faisant partie de l’Assemblée de Westminster, était un polémiste bien connu. Il considérait que le presbytérianisme était le modèle biblique du gouvernement de l’église. Dans son ouvrage The Presbyterian’s Armoury (L’Amure du Presbytère), il écrit : « J’ai souvent et profondément désiré ne pas être engagé dans les sujets polémiques dont le monde est déjà bien assez rempli. » Ici encore, nous ne voyons ni une polémique en déclin, ni une polémique triomphante. Alexander et Gillespie disaient tous deux qu’une personne qui aime la controverse théologique, qui en fait son but principal et qui se sent douée pour cela est dans un pauvre état spirituel.
Un problème dans le cœur
D. M. Lloyd-Jones a un jour fait la rencontre mémorable de T. T. Shields, le pasteur de l’église baptiste de Jarvis Street à Toronto, et un fervent défenseur de l’orthodoxie contre la théologie libérale grandissante des églises du Canada. Shields s’en prenait souvent aux dirigeants d’autres églises aussi bien dans ses sermons que dans ses écrits. Lloyd-Jones partageait quasiment les mêmes vues que Shields, mais pensait que « le dirigeant baptiste était parfois trop porté sur la controverse, trop dénonciateur, et trop critique. Pensant aider les jeunes chrétiens par la force de ses protestations contre les protestants libéraux et les catholiques romains, il ferait mieux d’influencer ceux dont le premier besoin est un enseignement positif. » (I. Murray, D. M. Lloyd-Jones: The First Forty Years, p. 271). Souvenons-nous : Lloyd-Jones était lui-même plutôt tenté de s’engager dans la polémique. Il s’est disputé publiquement avec John Stott pour savoir si les évangéliques devaient se détacher de l’Église d’Angleterre. (Lloyd-Jones pensait que non.) Malgré tout, il refusait de faire de la polémique la majeure partie de son ministère et s’opposait ainsi à Shields.
Lors de leur rencontre, Shields demanda à Lloyd-Jones s’il aimait lire les travaux d’un autre contemporain, lui aussi défenseur de l’orthodoxie. Lloyd-Jones répondit qu’il ne lisait que rarement les œuvres de cet auteur, car « cela ne le faisait pas grandir spirituellement ». Shields ajouta : « Vous devez bien être encouragé par la manière dont il discrédite les libéraux. » Ce à quoi Lloyd-Jones répondit : « On peut très bien discréditer les libéraux et avoir un problème dans son propre cœur. »
Ceci fut l’origine d’un long débat. À un moment, Shields affirma qu’il ne faisait que prendre exemple sur l’attitude de Paul envers Pierre, le contredire et s’opposer à lui. Lloyd-Jones répondit : « Le résultat de ce que Paul a fait était de gagner Pierre à son point de vue et se faire appeler par lui « notre bien-aimé frère Paul » [2 Pierre 3 : 15]. Pouvez-vous en dire autant des personnes que vous attaquez ? » Shields n’avait pas de réponse à cela. En fait, ses polémiques étaient conçues de façon à stigmatiser et marginaliser ses opposants, et non à les persuader. Soudainement, le jeune Lloyd-Jones parlait à Shields avec audace. Dans les années 20, Shields avait espéré l’obtention d’un poste à l’université McMaster, mais les théologiens libéraux empêchèrent sa nomination. Lloyd-Jones souligna que dès lors, il changea le ton de son ministère.
« Dr. Shields, vous étiez connu sous le nom de Spurgean canadien, et vous l’étiez… Mais avec l’affaire de l’université McMaster dans les années 20, vous avez soudainement changé et vous êtes devenu négatif et dénonciateur. Selon moi, cela a ruiné votre ministère. Pourquoi ne revenez-vous pas en arrière ? Laissez tomber tout cela, annoncez l’évangile aux gens de manière positive et gagnez-les ! » (Murray, p. 273)
Une place dans tout curriculum
Certains penseront que tout ceci est un appel à seulement « prêcher Jésus » et à oublier la doctrine pure. Mais nous ne pouvons pas accuser Lloyd-Jones de cela. Lloyd-Jones marchait plutôt dans les traces de Gillespie et Alexander. La polémique est la médecine, mais pas la nourriture. Sans médecine, nous mourrions sûrement, nous ne pouvons pas vivre sans elle. C’est la raison pour laquelle la théologie polémique a sa place dans tout curriculum théologique. Cependant, la médecine ne suffit pas pour vivre. Si vous vous engagez dans les polémiques avec joie, si les débats prennent un pourcentage important ou la majorité de votre temps et de votre énergie, c’est comme si vous tentiez de vivre avec la médecine seulement. Cela ne marchera ni pour l’église, ni pour vous. C’est là le message de Lloyd-Jones.
Je crains que nous soyons dans une période où beaucoup d’églises chrétiennes se situent dans des extrêmes pour la gestion des polémiques. D’un côté, il y a plus de personnes que jamais impliquées dans ces polémiques, en particulier via Internet, d’un autre côté, il me semble qu’un grand nombre de jeunes leaders chrétiens réagit comme si toute discussion était un mal. Nous voulons du dialogue, non pas des disputes ou de l’apologétique.
Dans la prochaine publication, je proposerai quelques idées qui, je l’espère, vous aideront à éviter la polarisation qui a lieu.
Traduction : Myriam Legrand