La revue ICHTHUS fait partie de l’histoire du mouvement évangélique francophone durant la deuxième moitié du 20è siècle. Elle a rempli un créneau qui a permis à la théologie évangélique « à la française » d’acquérir ses lettres de noblesse et, ainsi, de devenir crédible face à l’a priori trop répandu qu’elle était « made in USA ».
Cette revue, dont le premier numéro a paru en 1970, a alimenté et stimulé, pendant 16 années, la réflexion du monde protestant évangélique tout en présentant les actualités essentielles des Églises en francophonie sans négliger les grands développements internationaux. En 1983, le professeur J.P. WILLAIME de la Faculté de Théologie de Strasbourg a dit d’ICHTHUS qu’elle était LA revue, LA voix de l’aile évangélique !
L’équipe de rédaction, dès le départ et jusqu’à son dernier numéro, a été composée d’une trinité unie et complémentaire : Marie de VÉDRINES, ancien cadre supérieur de la Banque de France, avait reçu le sobriquet de « Mlle ICHTHUS » tellement elle s’était investie dans le succès de la revue. D’une part, ses compétences lui ont permis d’assurer une bonne partie du management de la revue ; d’autre part, son billet régulier « Questions d’Actualité » était très apprécié. Pierre COURTHIAL, pasteur de l’Eglise Réformée de France, après avoir servi pendant de nombreuses années la paroisse de l’Annonciation à Paris, a rejoint en 1974 l’équipe de la Faculté libre de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence devenue, ensuite, la Faculté Jean Calvin. Il en a été le doyen et y a enseigné l’apologétique, l’éthique et la théologie pratique. Henri BLOCHER est, sans doute, le théologien français contemporain le mieux connu non seulement en francophonie, mais aussi dans le monde académique par-delà nos frontières. Il a été professeur de théologie systématique à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine depuis 1965 avant d’en devenir, également, le doyen pendant de nombreuses années.
Au sommet de sa popularité, ICHTHUS a tiré à quatre mille exemplaires et a organisé en 1980, aux Arènes de Nîmes, la « Fête de l’Évangile » qui a réuni environ 17000 personnes. Devant la croissance considérable du monde évangélique et le foisonnement de nouvelles publications, souvent spécifiques aux unions d’Églises ou à mouvements divers, la revue ICHTHUS, quoiqu’encore vigoureuse, a perdu une part de marché et a décidé courageusement de finir en beauté.
Ayant été l’un des abonnés de la revue, du début à la fin, il m’a semblé fort dommage de la laisser dormir ou, tout au moins, d’accepter que l’accès à tant de richesses soit limité à quelques rats de bibliothèque. Les nombreux articles de fond de cette revue ont une valeur intemporelle même si, parfois, les illustrations et les anecdotes font date. C’est pourquoi, avec l’accord de deux des membres encore vivants de l’équipe de rédaction, Marie de Védrines et Henri Blocher, nous voulons donner une deuxième vie à ces trésors. Désormais, sur le site d’Évangile 21, vous trouverez un onglet dans la section ressources et un regroupement par “mots-clés” intitulé “Ichthus” qui réunira tous les articles d’ICHTHUS que nous publierons et chacun des articles portera le sigle spécifique de la revue.
Il me paraît utile et instructif de reprendre, ici, une large partie d’un texte que Henri Blocher a rédigé en 1988, un an après l’arrêt de la revue, et qui en retrace les trois traits caractéristiques.
Outre le souci de la langue exacte et de la belle maquette, trois notes ont fait l’originalité d’ICHTHUS.
Ensuite, le deuxième objectif qui définissait notre propos : la promotion d’une théologie sérieuse. Nous n’avons pas voulu nous contenter des nouvelles du monde et des Églises, des conseils pratiques, des histoires émouvantes, des schémas rapides, mais muscler la foi et renforcer son ossature par des doses calculées de théologie. Je dis théologie « sérieuse » en pensant à la fois à la technique (précision scientifique de l’exégèse, rigueur de la construction), et à l’orientation générale. Nous avons donné la préférence à la ligne la plus stable et la plus sobre, prépondérante depuis des siècles parmi les évangéliques : au calvinisme, dans ses deux versions réformée (au sens pédobaptiste) et baptiste. Nous espérions avoir du doigté : d’une part, nous souhaitions que s’expriment les avocats de lignes évangéliques différentes, et ils l’ont fait largement ; d’autre part, ICHTHUS n’était pas un forum, nous évitions la cacophonie, nous aurions rougi de laisser dans le doute les lecteurs qui attendaient l’avis de l’équipe responsable. Difficile équilibre ! Les choses ne se sont pas trop mal passées…
Enfin, plus original encore, notre désir d’élargir les perspectives, de projeter la lumière de la Parole sur l’ensemble de la vie. ICHTHUS a refusé le « ghetto », et esquissé une vue chrétienne de l’éthique, individuelle et communautaire, de la culture, de l’esthétique. Alors que s’effondraient les références de la morale traditionnelle, nous avons combattu sans concession pour le respect de la Loi de Dieu : à propos du mariage, de l’avortement, etc. Alors que fleurissaient des théologies de la révolution, nous avons recherché les implications sociales et politiques de l’enseignement biblique. Alors que se désagrégeait ce qu’on nommait jadis culture, nous avons mené, avec l’aide du peintre Jacques RICHARD SASSANDRA, une réflexion sur l’art et la foi. De nouveau, à ce propos, le fond épousait la forme, et la forme le fond.
Henri Blocher a conclu, de manière fort pertinente, son article sur la disparition de la revue ICHTHUS : « Dieu saura se forger d’autres instruments pour les situations à venir – sous d’autres formes, avec d’autres styles, mais fidèles à la confession JÉSUS-CHRIST, FILS DE DIEU, SAUVEUR.».
Évangile 21 souhaite marcher modestement dans les sillons tracés par ICHTHUS en étant à la fois enraciné dans les vérités non négociable de l’Évangile et en phase avec son temps.