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Élie apparaît en Israël (IXe siècle avant Jésus-Christ) à une époque qu'il serait ridicule d'appeler identique mais qu'il est juste d'appeler analogue à la nôtre. D'où la brûlante actualité des récits du cycle d'Élie dans le livre des Rois. Je dis exprès : le livre des Rois, car la division de ce livre en deux n'est pas originale et coupe artificiellement le cycle d'Élie ; ce qui est regrettable.

Notre époque que l'on dit à tort sécularisée, au sens de non-religieuse, est en réalité très religieuse. Sa religion est celle de Dionysos comme le démontre avec rigueur l’ouvrage, difficile mais lucide et passionnant, de Jean Brun [1]. Accompagné des redoutables puissances de la Violence, du Sexe et de l'Argent (possédé ou convoité, mais toujours « possédant »), c'est Baal, dont Dionysos n'est qu'un avatar qui réapparaît, se veut, et redevient le « maître », le « propriétaire » (c'est le sens de son nom) de la terre et du cœur des hommes. Il se confond avec l'Homme et le Monde comme une immense et multiforme Projection de la Nature divinisée.

Une fois de plus, en notre temps comme au temps d'Élie, il s'agit de savoir qui est Dieu : le Dieu de la Révélation biblique et christique (le Dieu Créateur et Sauveur) ou Baal-Dionysos. Et la question d'Élie est aujourd'hui posée au peuple de l'Église comme elle fut autrefois posée au peuple d'Israël : « Jusques à quand clocherez-vous des deux côtés ; si c'est Yaweh qui est Dieu, allez après Lui ; si c'est Baal, allez après lui ! » (I Rois 18 : 21).

Charles Péguy distinguait dans l'Histoire les « époques » (ces moments-tournants décisifs) et les « périodes » (les temps entre les époques et ponctués par elles). Nous sommes indiscutablement à une époque. Et c'est un grand combat spirituel qui se livre actuellement. Il nous faut décidément choisir, comme Élie a demandé à Israël de choisir lors de l'épisode, du duel, au mont Carmel.

Le drame, aujourd'hui comme au temps d'Élie, c'est que les conducteurs du peuple de l'Alliance passent en grand nombre à l'Ennemi, deviennent prophètes de Baal-Dionysos, et convient ceux qui les écoutent à opérer cette mutation : rejeter Yaweh et sa Parole pour suivre les invitations séduisantes et diverses de Baal-Dionysos.

Dans l'Église de nos jours, comme dans l'Église de Thyatire à la fin du Ier siècle, comme dans l'Israël du IXe siècle avant Jésus-Christ, la « femme Jézabel », cette figure préfiguratrice de la « grande Prostituée » (Apocalypse 17) a liberté d'« enseigner et séduire » les serviteurs de Dieu pour qu'ils se livrent à l'impudicité et à l'idolâtrie (Apocalypse 2 : 20-23).

Il s'agit, face à ses séductions, pour chacun de nous et pour nous tous ensemble, de garder fidèlement, dans notre cœur, dans notre pensée, dans notre vie, ce que nous avons, ce que nous tenons de la grâce de Dieu (Apocalypse 2 : 25-26) jusqu'à ce que nous ayons vaincu. Oui ! « Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Églises ! »

La puissance et l’esprit de la prophétie

« Élie était un homme semblable à nous » (Jacques 5 : 17). La Bible ne l'idéalise pas et ne nous cache pas, quand il en a eu, ses faiblesses (I Rois 19 : 3 et ss.). Mais elle nous montre aussi la force de l'homme de Dieu chaque fois qu'il a écouté et suivi la Parole de Dieu, cette Parole à la fois si transcendante et si proche (I Rois 17 : 5 et 9-10 ; 18 : 1-2 et 36 ; 21 : 17-18, etc..)

Élie concentre en lui, mystérieusement, la puissance et l'esprit de la Prophétie, au triple sens du mot Prophétie : il parle au nom de Dieu, au point que, sous l'inspiration, sa parole est la Parole-même du Seigneur ; il parle devant les rois et le peuple ; il parle avant que la chose arrive, avant qu'« arrive le jour du Seigneur, ce jour grand et redoubtable » (Mal. 4:5).

C'est pourquoi le cycle d'Élie, dans la Bible d'Israël, est inscrit dans les livres reçus comme livres prophétiques (les Nebîîm = les Prophètes) (alors que dans nos Bibles il se trouve dans les livres que nous appelons historiques).

C'est pourquoi aussi Élie, le Prophète, apparaît avec Moïse, l'auteur de la Loi, de la Torah, auprès de Jésus rayonnant, à la montagne de la Transfiguration. Il s'entretient alors, en compagnie de Moïse, avec Jésus, de ce qui va donner son sens et son accomplissement à tout l'Ancien Testament, à toute la Loi et à tous les Prophètes, à savoir : l'événement rédempteur de la Croix dressée aux portes de Jérusalem (Luc 9 : 28-31). Élie, au Carmel, attend pour appeler l'intervention de Dieu sur l'autel, « l'heure où monte l'oblation » (I Rois 18 : 36), l'heure, trois heures avant le coucher du soleil, l'heure où l'offrande du soir était présentée au temple de Jérusalem dans le royaume voisin et messianique de Juda, l'heure à laquelle, des siècles plus tard, Jésus devait s'offrir en mourant sur la Croix (Mat. 27).

Le feu du Seigneur qui tombe sur l'autel du Seigneur rétabli par Élie au Carmel (I Rois 18 : 36-39), manifestant à Israël l'agrément par Dieu de l'offrande et du sacrifice du taureau placé sur le bois (I Rois 18 : 33) préfigure prophétiquement le feu du Seigneur qui descendra sur l'Église au jour de la Pentecôte (Actes 2 : 1-4), manifestant l'agrément par Dieu de l'offrande et du sacrifice du Fils unique et bien-aimé cloué sur le bois de la Croix.

Quand Jésus, à la fin de l'Histoire, paraîtra dans Sa gloire aux yeux de tous, Élie, monté au ciel dans son corps sans connaître la mort (2 Rois 2 : 11), paraîtra avec Lui dans la Lumière éclatante préfigurée par celle de la Transfiguration, et cela encore avec Moïse (si du moins c'est le sens de Zacharie 4 : 1-4 et d'Apocalypse 11 : 4).

Si Jean le Précurseur est un nouvel Élie, s'il est « l'Élie qui devait venir » (Matthieu 11 : 14), il n'en reste pas moins qu'Élie reviendra à la fin comme l'ultime Précurseur du Seigneur glorieux.

Ô mystérieux, insaisissable et fascinant Prophète Élie !

Élie et la pluie

Élie est en rapport étroit avec le thème de la Pluie dans la Sainte Écriture.

A sa parole (Parole de Dieu !) il n'y a plus de pluie en Israël Durant trois ans, et meme trois ans et demi. Au retirement d'Élie, d'abord auprès du torrent de Kerith, ensuite à Sarepta, dans le territoire de Sidon, patrie-même de Jézabel, femme d'Achab, le roi maudit, patrie-même du culte abominable de Baal, c'est la pluie de la Parole de Dieu qui se retire et ne rafraîchit plus et ne fertilise plus Israël.

Double jugement de Dieu sur son peuple. Alors s'accomplit la menace écrite, et longuement méditée par Élie, au livre du Deutéronome (11 : 13-17). Ce n'est pas la pluie des nuages seulement, mais c'est la pluie spirituelle du ciel de Dieu qui cesse de tomber sur Israël.

Comme le thème du Vent, ou celui du Feu, le thème scripturaire de la Pluie est ambivalent. La Pluie — il suffit de songer à celle du Déluge — peut aussi signifier le Jugement (Esaïe 4 : 6 ; Ezéchiel 13 : 13, etc.) Mais, dans le cycle d'Élie, et le plus souvent, la Pluie signifie la Grâce, celle de la Parole et de l'Esprit de Dieu, qu'il s'agisse de la Grâce générale de la patience de Dieu envers tous les hommes (comme dans Matthieu 5 : 45) ou de la Grâce particulière de Dieu sur le peuple élu ou les individus élus (Jér. 14 : 22 ; Deutéronome 33 : 13 ; Genèse 27 : 28 ; Psaume 72 : 6-7, etc.)

La promesse de Dieu : « Je ferai tomber de la pluie sur la face du sol » (I Rois 18 : 1) désigne à la fois la vivante espérance de la pluie ordinaire sur le sol desséché de la Terre sainte et celle de la pluie de la grâce sur les cœurs desséchés du Peuple saint. C'est la promesse, contrecarrant l'apostasie, des « sept mille hommes qui n'ont point fléchi les genoux devant Baal » (I Rois 19 : 18).

La vigne de Naboth

L'épisode de la vigne de Naboth (I Rois 21) nous place devant deux questions : celle de notre héritage en tant que membres du peuple de l'Alliance et celle de l’autorité souveraine sur le peuple de l'Alliance.

Naboth — et cela lui vaudra le martyre — refuse de céder au roi Achab sa part d’héritage, sa portion de Terre sainte. Alors qu'Esaü, au mépris de la grâce de Dieu, avait vendu à Jacob son droit d'aînesse (et la bénédiction divine) pour un plat de lentilles (Genèse 25 : 29-34), Naboth refuse d'échanger sa vigne, sa part de Terre sainte, contre une « vigne meilleure » ou de l'argent (I Rois 21 : 2-6). En notre temps d'apostasie accélérée, alors que tant de « chrétiens » sont prêts à céder leur part dans l'Alliance en écoutant les propositions d'infidèles conducteurs, serviteurs de Baal-Dionysos, il nous faut recevoir de Dieu le courage d'une foi confessante : « Je ne donnerai pas l'héritage de mes Pères ! » (I Rois 21 : 4).

L'autre question placée devant nous est celle-ci : « Maintenant, qui exerce la souveraineté sur Israël ? » (I Rois 21 : 7). Nous ne pouvons nous y dérober. Achab peut croire — puisqu'il est roi ! — que c'est lui qui exerce cette souveraineté.

Jézabel, tout en faisant semblant d'affirmer que cette souveraineté appartient à Achab, pense bien que c'est elle qui l'exerce.

En fait, derrière Achab et Jézabel, c'est Baal qui les domine l'un et l'autre et devient « maître », « propriétaire » d'Israël.

A la question : « Qui exerce la souveraineté sur le peuple de l'Alliance, sur l'Église ? » nous devons répondre, dans notre cœur, dans notre pensée, dans notre vie, que la souveraineté n'appartient qu'à la seule Parole de Dieu, au Christ et à l'Écriture.

Les autorités et les conducteurs de l'Église (quand même il s'agirait de pasteurs en renom, de Synodes considérables, ou d'un Concile « œcuménique » !) et les théologiens (quand même il s'agirait d'experts docteurs !) ne sont aucunement souverains. Synodes et théologiens ont sûrement leur vocation, comme Achab avait sûrement la sienne. Fol serait quiconque ne reconnaîtrait pas la vocation des « autorités » et prétendrait avec orgueil pouvoir s'en passer. Nous devons nous ranger volontiers aux décisions des synodes et aux réflexions des théologiens pour autant qu'elles nous aident à mieux suivre la seule Parole de Dieu.

Mais nous devons récuser décidément toute décision arbitraire et toute réflexion arbitraire minimisant, relativisant, négligeant ou déformant la souveraineté de la Parole de Dieu.

La domination des autorités n'est pas souveraine. Elle ne tient qu'à leur fidélité à la Parole du Seigneur.

Élie fut accusé par Achab de troubler Israël. Il répliqua à Achab que c'était lui, Achab, qui troublait Israël (I Rois 18 : 17-18). En un sens, il est vrai qu'Élie troublait Israël par son intransigeance. Mais il troublait Israël à salut. Ceux qui troublaient Israël à perdition, c'était Achab et ses prophètes, c'était Jézabel et ses prophètes, c'était le mauvais esprit de Baal-Dionysos.

Á la dernière page du livre dont je parle au début de [cet article].

Jean Brun écrit :

« Qui est donc finalement Dionysos sinon l'homme lui-même qui se projette dans ce monstre protéiforme ? Dionysos n'est que l'Homme en train de penser Dionysos. Si Dionysos renaît sans cesse sous des formes nouvelles, c'est parce que l'homme qui lui donne naissance tente toujours de s'abreuver à ce qu'il ne sera jamais. Adoré comme le dieu de la libération, Dionysos n'est que l'idole de l'escapade : sa danse prend appel sur le sol où habitent les hommes et sur lequel retombe le dieu ivre après avoir bondi. »

Oui, sachons « qu'une idole n'est rien dans le Cosmos et qu'il n'y a qu'un seul Dieu » (I Cor. 8:4).


[1] Le retour de Dionysos, Desclée, Paris, 1969. Jean Brun était professeur de philosophie à la Faculté des lettres de l'Université de Dijon.

Pierre Courthial, Ichthus, n° 7 nov. 1970 page 21 à 25

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