Aidez TGC Évangile21 à équiper les croyants pour qu'ils restent fermement attachés à l'Évangile dans une culture qui change radicalement.

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Que notre culture ambiante puisse confondre les termes « évangélique » et « évangéliste » pourrait être considéré comme étant tout à notre honneur. L’association de l’activité évangélisatrice avec nos milieux évangéliques est en effet normale. Une fois nés d’en haut, nous croyants avons le souci du salut éternel de celles et ceux de nos concitoyens qui restent sous la colère de Dieu (Jn 3,36). Dans les années 1980 un éditorial du Maillon intitulé « La visée fondamentale de l’Institut »[1] rappelait que la perspective missionnaire de l’école est « à la base de son existence » et soulignait l’importance du maintien de cette perspective. La vision actuelle de l’Institut se trouve en continuité par rapport à cette préoccupation : « former, en faveur de la moisson de l’Europe francophone, des serviteurs de l’Evangile qui sont fidèles, compétents et consacrés – et cela pour la gloire de Dieu ». Mais comment s’y prendre en 2009 ? Comment annoncer un Evangile qui ne change pas dans un monde qui change ? Poser la question de cette manière laisse déjà penser qu’il faut d’abord comprendre à la fois l’Evangile et le monde dans lequel nous l’annonçons.

1. Comprendre l’Evangile

Contenu de l’Evangile

Qu’est-ce que l’Evangile ? En étudiant les discours des apôtres qui se trouvent dans le livre des Actes ainsi que les passages-clé dans les lettres de Paul qui résument l’Evangile (Rm 1,1-5 ; 1 Co 15,1-11 ; 2 Co 4,1-6 ; 2 Tm 2,8), on arrive à une synthèse comportant les éléments essentiels suivants :

Jésus-Christ le Seigneur – sa mort pour le pardon des péchés et sa résurrection, toutes deux conformément aux prophéties de l’Ancien Testament – et la nécessité d’y répondre par la repentance et la foi vu le jugement à venir.

Un autre moyen – complémentaire – de discerner l’essentiel de l’Evangile serait de considérer tous les endroits dans le Nouveau Testament où la cohérence et l’intégrité du message sont en jeu du fait d’un faux enseignement qu’il faut absolument contrer. Par exemple, en 1 Corinthiens 15, Paul est amené à préciser que, si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est en vain. Il en découle qu’enlever la résurrection veut dire enlever l’Evangile. Ou encore, l’apôtre Jean condamne très fortement ceux qui nient l’incarnation du Christ (2 Jn 7-10). Cette approche donnerait lieu à un résumé semblable :

La mort et la résurrection de l’incarné Jésus- Christ, le Seigneur qui vient, sont nécessaires et suffisantes pour le salut (ou la justification devant Dieu) que l’on s’approprie par la foi seule et qui donne lieu à la future résurrection corporelle du croyant.

Ces résumés cadrent avec le fil conducteur de l’histoire du salut : création – chute – rédemption – consommation (nouvelle création). Il existe un problème (les êtres humains se sont rebellés contre leur créateur), ce qui amène un châtiment (la malédiction de Genèse 3 et surtout le jugement à venir), et la solution se trouve uniquement en Jésus-Christ (solution apportée lors de sa mort et sa résurrection, solution consommée dans un nouveau cosmos).

Pistes d’application

A titre d’applications intérimaires, (1) constatons que nous nous trouvons en porte à faux avec celles et ceux qui estiment qu’on peut annoncer l’Evangile sans communiquer beaucoup d’informations. On nous dit aujourd’hui qu’il suffit de parler d’un aspect du message pour que quelqu’un se convertisse – par exemple, la résurrection ou l’humanité de Jésus. Certes, parler du péché, du jugement, de l’unicité du Christ pour le salut et de la nécessité de la repentance risque de nous coûter cher, mais au regard des Ecritures il est difficile d’envisager qu’on fasse le court-circuit de ces éléments dans notre évangélisation…

De plus, la Bible est un long livre, et les résumés que je viens de proposer présupposent une quantité considérable de données bibliques qu’il faut parfois présenter, expliciter, développer. La mesure selon laquelle il nous faut fournir ces informations scripturaires qui sont en arrière-plan de ces résumés va dépendre de notre auditoire. De même, l’angle sous lequel nous proposerons de telles explications va également dépendre de notre auditoire. Nous y reviendrons.

(2) Un deuxième élément d’application est à noter : il ne faudrait pas confondre « annoncer l’Evangile » et « s’engager dans l’apologétique ». Je ne parle pas de l’apologétique dans le sens de l’apologie ou la défense que nous sommes appelés à être prêts à donner en 1 Pierre 3,15. En revanche, ce dont je parle, c’est la pratique de répondre aux objections des uns et des autres en faisant appel à des données qu’on ne trouve pas dans la Bible – la pratique de démontrer le caractère raisonnable du christianisme à partir d’informations extrabibliques. Par exemple, un non-croyant explique que ce qui l’empêche de croire en Jésus-Christ, c’est un certain scepticisme quant à la véracité du récit de la création qui se trouve en Genèse 1 : la personne déclare que ce récit ne s’accorde pas avec les résultats des recherches scientifiques.

Le croyant répond en démontrant que la Genèse est bien compatible avec les recherches scientifiques, ce qui pourrait entraîner la remise en question de certaines données prétendues scientifiques ou la remise en question de l’interprétation de Genèse 1 prônée par l’interlocuteur. Quelque utile que puisse être ce genre d’exercice, ce n’est pas là une démarche d’évangélisation. Un tel exercice ne rapproche pas les gens du royaume de Dieu, car seul l’Evangile peut amener quelqu’un des ténèbres à la lumière. Gardons notre sang-froid en ce qui concerne la doctrine de l’incapacité totale. En effet, la condition de la personne se situant en dehors du Christ est qu’elle n’est pas capable de se tourner vers Dieu à moins de l’intervention miraculeuse de la puissance de l’Esprit qui opère par le biais de la parole de l’Evangile. Vis-à-vis de Dieu, la personne est morte, aveugle, sourde, perdue, dans les ténèbres, pas susceptible d’être instruite, étrangère, asservie, incurable… (Ep 2,1-5 ; 2 Co 4,4 ; Jn 9,39ss. ; Mc 4,11-12 ; Lc 15 ; Lc 19,10 ; Co 1,13 ; Ac 26,18 ; 1 Co 2,14 ; Ep 2,12 ; Jn 8,34 ; Jr 30,12ss…) Même si nous pouvons prouver que Jésus est ressuscité d’entre les morts, les uns et les autres refuseront de le croire (cf. Lc 16,31). Ce qu’il nous faut faire, c’est prêcher l’Evangile, car seul l’Evangile est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit (Rm 1,16).

(3) De même, il ne faut pas confondre « pré-évangélisation » et évangélisation. Là, je ne parle pas de « pré-évangélisation » dans le sens du terme proeuaggelizomai en Galates 3,8 où il est question de l’annonce de l’Evangile faite par avance à Abraham. En revanche, ce à quoi je fais allusion, c’est la pratique de partager un peu de son histoire personnelle avec un non-croyant (son « témoignage ») ; d’inviter un non-croyant à une quelconque réunion dans un bâtiment d’Eglise ; de mentionner le nom de Dieu dans une conversation avec un non-croyant ; d’expliquer à un non-croyant qu’on évite de bavarder ou de voir certains films parce qu’on aime Jésus. Ces démarches peuvent être difficiles à faire ; elles peuvent être liées à l’Evangile ; elles peuvent donner lieu, à terme, à des occasions pour l’Evangile ; mais elles ne correspondent pas en elles- mêmes à l’évangélisation.

2. Comprendre le monde qui change

Les difficultés

Comme le titre de cet article le laisse entendre, il nous faut reconnaître que notre société est en pleine évolution et que les forces qui y sont à l’œuvre rendent notre tâche évangélisatrice plus difficile. Si j’ai impression que ces problèmes sont plus manifestes en France qu’en Belgique, il n’en reste pas moins que l’orientation générale en Belgique francophone, pour ne pas dire partout en Europe occidentale, est dans le même sens. Quelles sont ces tendances ?

(1) A cause de vagues d’immigration significatives notre société devient de plus en plus pluraliste au plan religieux, et l’islam en particulier se trouve de plus en plus sur le devant de la scène politique. (2) De moins en moins de nos concitoyens connaissent des notions bibliques de base, et de moins en moins de non-croyants en Europe embrassent une vision du monde judéo- chrétienne ; la philosophie postmoderne a gagné du terrain au plan de l’épistémologie (la science des connaissances).

Quelles en sont les conséquences ?

(1) S’engager dans l’œuvre d’évangélisation devient de plus en plus politiquement incorrect et risque de nous coûter de plus en plus cher ; la liberté de parole se trouve menacée ; la censure nous guette.

(2) Du fait de la philosophie postmoderne, le relativisme semble battre son plein – et cela pas toujours parmi les plus jeunes. Un dimanche en 2007, mon épouse Myriam et moi, nous nous trouvions à la gare d’Ottignies, et nous avons discuté longuement avec une dame âgée et pourtant relativiste jusqu’au bout des ongles… Au bout d’un certain temps, et à l’instar de Proverbes 26,5, nous avons essayé de faire ressortir l’absurdité de sa position au moyen de l’ironie. Par exemple, comme elle nous avait expliqué qu’elle avait pour projet d’aller au Vietnam, nous avons ironisé en lui disant, « Mais, pour nous, vous êtes déjà au Vietnam ». Cette stratégie n’a cependant pas marché. En effet, elle a affirmé que, si pour nous elle se trouvait déjà au Vietnam, ainsi soit-il selon notre « vérité ». Sa position était cohérente, du moins ! Quoi qu’il en soit, la suggestion qu’on puisse connaître la vérité en lisant la Bible paraît farfelue à un grand pourcentage de nos contemporains. Nos interlocuteurs risquent de rejeter l’idée d’un méta-récit ou d’une grande explication de la réalité, l’idée qu’un texte renferme un message cohérent en lui-même et l’idée même d’un auteur. Bref, sur le papier, ils ne sont pas disposés à écouter l’Evangile, encore moins à l’accepter.

Application

Certaines pistes d’application s’imposent à ce stade. (1) Face au pluralisme, il nous faudra du courage ! Nous reviendrons sur ce thème. (2) Face au relativisme, il nous faudra mener de gros efforts pour bien communiquer… En effet, il est possible d’être fidèle au message de l’Evangile, de l’exprimer de manière fidèle, même de l’exprimer de manière fidèle à un auditoire particulier, mais sans faire de l’évangélisation. Cela peut se produire si nos auditeurs ne comprennent pas ce que nous disons. Si mon analyse de notre contexte culturel est exacte, c’est un problème grandissant pour nous qui sommes versés dans les Ecritures mais qui sommes de plus en plus en porte à faux par rapport aux orientations philosophiques de la société. La vision du monde de nos interlocuteurs risque d’être tellement différente de la nôtre qu’il nous faut expliquer le jargon biblique ou bien nous en passer tout court – sans pourtant sacrifier les concepts en question.

Il nous faut poser les jalons de l’histoire biblique, la trame de l’histoire du salut (mais nous pouvons tourner cela à notre avantage, car on nous dit que nos interlocuteurs contemporains préfèrent écouter des histoires qu’écouter des propositions).

Le péché, le jugement, la repentance, la foi, le royaume de Dieu, l’incarnation, la résurrection, la justification : voilà autant de mots qu’il nous faut décrypter pour la plupart des interlocuteurs que nous rencontrons. Cela implique que nous passions suffisamment de temps avec nos interlocuteurs pour que la communication ait lieu. Je ne nie pas qu’il vaille la peine dans certaines circonstances d’essayer d’annoncer l’Evangile en quelques secondes dans un langage adapté : parfois Dieu peut utiliser une telle démarche pour sa gloire… Mais si nous n’entrons pas en conversation avec notre interlocuteur, nous courons le danger de ne pas parvenir à bien communiquer…

On peut également « évangéliser sans évangéliser » en évitant de parler des corollaires négatifs de l’Evangile. Voici comment un auteur illustre « le caractère inadéquat de la théologie du « oui » » : [2]

Je connais une Eglise dont le nouveau pasteur l’a conduite dans une erreur théologique sérieuse, voire fatale. Ce qui est mystérieux, c’est que son prédécesseur, un homme profondément orthodoxe, pieux et bien aimé, n’avait jamais prêché quoi que ce soit en dehors de la vérité de l’Evangile. Comment cela est-il arrivé ? J’ai demandé à une amie qui connaissait l’Eglise. Son explication ? « Il leur disait la vérité durant toutes ces années. Mais ce qu’il ne leur disait pas, c’était ce que n’était pas la vérité. » Il parlait du positif (ce qu’est la vérité), mais jamais du négatif (ce qu’elle n’est pas) ; et parce qu’il ne le faisait pas, son troupeau n’avait jamais vraiment entendu la vérité. Ils n’étaient pas très bien enseignés finalement.

Nous courons le risque de commettre la même erreur dans le domaine de l’évangélisation en parlant du positif mais en omettant le négatif. Nos interlocuteurs non- croyants ont une remarquable capacité à être d’accord avec nous lorsque nous disons que Jésus est le chemin, la vérité et la vie et à être en désaccord avec nous lorsque nous disons que nul ne vient au Père que par lui.

Il me semble que dans notre évangélisation nous ne pouvons réussir à communiquer l’unicité du Christ pour le salut sans en évoquer clairement les implications, c’est-à- dire que l’islam, le judaïsme et les autres religions sont des impasses. Ou encore, nous pouvons dire que l’on est sauvé en mettant sa foi en Christ seul, mais c’est un concept si révolutionnaire aux oreilles d’un non- croyant que cela ne sera pas vraiment compris tant qu’on n’expliquera pas bien clairement (par exemple) que même les bonnes œuvres de Mère Térésa ne peuvent en rien gagner la faveur de Dieu.

3. Comprendre le monde qui ne change pas

Il n’est pas controversé d’affirmer que notre tâche est difficile. Mais il ne faut pas exagérer le degré de changement par lequel notre société passe, et cela pour deux raisons. 

(1) D’abord, il me semble qu’à terme le relativisme devrait s’autodétruire, non seulement parce qu’il est dépourvu de sens mais encore parce que personne – sauf certains présentant des troubles mentaux – ne souhaite vivre d’une manière véritablement conforme à cette philosophie. En effet, chaque être humain présuppose dans la pratique que la communication est possible – qu’elle peut réussir, aboutir.

Même la dame à la gare d’Ottignies croit qu’il vaut la peine d’articuler son point de vue – et qu’il vaut la peine de prendre tel ou tel train censé être à destination de tel ou tel endroit affiché par la SNCB qui arrive grosso modo à passer des informations qui sont comprises par ses voyageurs… Le relativisme n’est attirant que dans la mesure où il permet aux uns et aux autres de fuir la vérité là où elle leur est invivable… Nous croyants disons « voici la vérité » ; nos interlocuteurs nous répondent « qu’est-ce que la vérité ? », et ils marchent ainsi sur les traces de Pilate qui a posé la question « qu’est-ce que la vérité ? » face à la majesté du Christ (Jn 18,37-38). Il n’y a rien de nouveau sous le soleil (cf. Ec 1,1-11).

(2) Mais il ne faudrait pas exagérer le degré de changement pour une autre raison : dans une perspective biblique, il existe des points de contact – des passerelles [3] – entre les non- croyants et nous que nous pouvons exploiter pour le royaume et qui ne vont pas changer. Autrement dit, il y a un terrain d’entente qui ne va jamais glisser. En effet, chaque être humain sait, grâce à la création, que Dieu existe – qu’il est puissant, qu’il est divin (Rm 1,20). En d’autres termes, quoi qu’on en dise, la catégorie « athée » n’existe pas ! Au plan de notre humanité même, nous savons que chaque être humain, créé à l’image de Dieu, est doté d’une conscience qui engendre des sentiments de culpabilité (Rm 1,32 ; 2,15). Nous savons que Dieu a placé l’éternité dans le cœur de chaque être humain (Ec 3,11), en d’autres termes que chaque être humain désire ardemment connaître un monde plus solide, plus durable, plus satisfaisant que celui dans lequel notre vie passe comme une vapeur en septante ans ou quatre-vingt ans pour les plus vigoureux. Chaque être humain connaît, hormis les moments de bonheur éphémère, une vie de peine et de misère en attendant la mort (cf. Ps 90,10). Chaque être humain se situe dans un contexte d’histoire et de géographie : peu de gens nieraient qu’il existe une succession de moments dans leur vie – un avant et un après, des événements qui se déroulent autour d’eux – et des espaces physiques et matériels dans cet univers.

Voilà autant de points de repère qui nous permettent de communiquer notre message. La culpabilité : nous l’expliquons en rapport avec le Créateur envers qui nous sommes redevables et responsables. Le désir de connaître un monde parfait : nous l’expliquons en rapport avec le nouveau cosmos auquel nous pouvons accéder grâce au Christ. Il est à noter que lors de la semaine d’évangélisation de l’IBB en partenariat avec les Groupes Bibliques Universitaires qui a eu lieu en 2008, nous avons trouvé assez facile d’aborder l’Evangile par le biais d’une question relative à ce désir de connaître un meilleur monde (nous demandions à nos interlocuteurs de compléter la phrase qui commence par « Je rêve d’un monde où… ») Les souffrances : nous pouvons parler du lien entre les souffrances et le péché ; nous pouvons parler de celui qui connaît nos souffrances, de celui qui est entré dans ce monde pour passer par la souffrance extrême en vue de préparer un nouveau monde sans souffrance. L’histoire et la géographie : nous présentons l’histoire du salut avec son moment-clé, la mort de Jésus comme un fait historique, situé en l’an 30 ou 33 à Jérusalem.

4. Comprendre la stratégie divine pour gagner le monde

Comprendre notre monde implique également comprendre l’ampleur de la tâche, la taille de la moisson qui se présente à nous dans ce monde. Il vaut la peine de nous rappeler la stratégie divine pour gagner le monde telle qu’elle émerge du verset-phare de l’Institut qu’est 2 Timothée 2,2 : « Et ce que tu as entendu de moi en présence de beaucoup de témoins, confie-le à des hommes fidèles, qui soient capables de l’enseigner aussi à d’autres ». Le verbe « confier » (paratithèmi) reprend le langage du chapitre 1, versets 12 et 14 où figure le substantif apparenté – le terme « dépôt » (parathèkè). De plus, l’expression « ce que tu as entendu de moi » reprend le langage du chapitre 1, verset 13. Dans ces versets du premier chapitre il est question de l’Evangile, il faut donc présupposer que le même référent est en jeu en 2,2 (à moins de repérer des contre-indications ailleurs dans le contexte proche, mais il n’y en a pas).

Paul veut veiller à ce que le message de l’Evangile soit transmis d’une génération à l’autre. Lui, Paul, l’a déjà transmis à Timothée, et il est en train de donner cette instruction à Timothée : transmets-le à d’autres. Mais notons-le bien : ces autres auxquels Timothée va transmettre l’Evangile doivent à leur tour le confier à d’autres encore ! Cela veut dire que ce processus ne se rapproche pas d’une course de relais 4 fois 100 mètres dans laquelle le témoin est passé à une seule personne à chaque étape. Une illustration qui convient mieux est celle de la vente pyramidale (chaque vendeur vend un produit à plusieurs autres personnes qui le vendent à leur tour à plusieurs autres personnes, et ainsi de suite) – abstraction faite de l’activité commerciale, voire déontologiquement douteuse, qui n’est pas en adéquation avec l’annonce de l’Evangile de grâce ! Quoi qu’il en soit, on a affaire dans notre texte à la multiplication des serviteurs de l’Evangile.

Cette multiplication tombe sous le sens !

La stratégie divine est efficace. Même si l’on pouvait trouver cent francophones aussi jeunes et doués que le meilleur évangéliste parmi les étudiants à l’Institut, on ne pourrait toucher qu’une fraction des non- croyants dans notre champ de mission. Mais si l’on multiplie le ministère de l’Evangile au moyen de la formation, cela peut bien changer la donne.

Selon le verset, nous sommes censés cibler des personnes compétentes ou douées pour un ministère de la parole. Cela ne veut pas dire que l’activité évangélisatrice soit la chasse gardée de ces personnes. Mais la pureté de l’Evangile doit être conservée. Notre travail à l’Institut est de former de futurs responsables qui « [dispensent] avec droiture la parole de la vérité » (2,15).

Ils doivent d’ailleurs éviter l’erreur théologique (2,16-18), voire réfuter les contradicteurs (3,17 ; Tite 1,9). Or, afin d’être en mesure de contrer l’erreur, il faut savoir discerner l’erreur ; et pour cela, il faut du temps – pour la formation, pour l’immersion dans les Ecritures, pour faire en sorte que les compétences des jeunes Timothées de 2009 se développent.

5. Comprendre la nécessité d’être prêt à souffrir

L’autre qualité dont il est question en 2 Timothée 2,2, c’est la fidélité. Dans le contexte, on a affaire à la fidélité au contenu de l’Evangile, à la persévérance dans l’attachement à l’Evangile même lorsque cela coûte cher. Il est question d’endurance, de fermeté, de tenir bon face à la difficulté,

à l’épreuve, à la souffrance (1,8 ; 1,11 ; 2,3). Certes, nous ne devrions pas chercher la souffrance ! Nous ne devrions pas non plus être irrespectueux envers les personnes avec qui nous ne sommes pas d’accord ! Loin de là ! Mais nous serons engagés dans une guerre spirituelle contre les puissances ténébreuses des lieux célestes (Ep 6,10-20 ; Ap 12,13-17), et, puisque notre message est intrinsèquement offensant, il faut s’attendre à des réactions hostiles.

Le fait que cette souffrance soit normale ne surprend pas lorsqu’on réfléchit, à la lumière du texte de 2 Timothée, à ce que cela donne d’afficher clairement le contenu de l’Evangile dans notre contexte d’Europe francophone. Au regard de 1,9, il nous faut être prêts à énoncer clairement que nos bonnes œuvres ne contribuent en rien à notre salut et donc que l’enseignement du catholicisme officiel est un faux évangile. Autre exemple : selon 2,8, Jésus-Christ est le Messie, le descendant de David promis dans l’Ancien Testament, celui qui allait sauver son peuple. Paul précise que cette réalité fait partie intégrante de l’Evangile. Mais insister là-dessus auprès des Juifs risque de coûter cher ! Selon ce même verset, Jésus est mort et ressuscité, réalités qui font également partie intégrante de l’Evangile. Ce n’est pas là ce que les musulmans croient ! Ils rejettent l’idée que Jésus est mort sur la croix, ils rejettent donc l’Evangile. On n’a aucun mandat biblique pour donner à penser que les musulmans sont en bonne relation avec Dieu ! Notre Dieu est trinitaire (ou, mieux, « tri-une ») – Père, Fils et Saint-Esprit – alors que les musulmans rejettent l’idée que Jésus est Dieu. Est-ce que nous sommes prêts à trancher ces questions auprès des musulmans ? Est-ce que nous aimons les musulmans au point de leur annoncer l’Evangile ? Il coûte cher de proclamer et de défendre de manière claire cet Evangile dans un contexte pluraliste. 

On dira peut-être que nous appartenons à une secte, que nous sommes excentriques, que nous sommes des fous religieux, que nous sommes intolérants.

Notre tendance naturelle sera de vouloir édulcorer notre message en faisant des concessions à notre culture sur de telles questions qui fâchent. C’est ce que font des adeptes de l’« église émergente », comme nous l’avons démontré ailleurs [4]. Cela dit, nous pouvons, voire devrions prendre exemple sur ces personnes quant à leur désir de bien « contextualiser » l’Evangile, ce qui nous amène à notre considération suivante.

6. Comprendre le principe du « tout à tous »

Selon 1 Corinthiens 9,19-23, il faut savoir faire preuve de souplesse en vue de gagner le plus grand nombre. Ce principe de l’accommodation que Paul énonce n’implique aucunement que nous modifions le message, comme le titre de cet article donne déjà à penser. Il ressort du contexte de ce chapitre que Paul insiste sur le fait de prêcher l’Evangile (v. 14, 16, 18). D’ailleurs, c’est dans cette épître que figure un exposé développé du contenu de l’Evangile (chapitre 15). Il n’existe donc aucune opposition entre ce passage d’1 Corinthiens 9 et le texte de 2 Timothée 2,2.

Le principe de l’accommodation ne veut pas dire non plus qu’on transige avec des questions de moralité. Certes, Paul se comportera comme un Juif ou comme un non-Juif afin de ne pas dresser des pierres d’achoppement devant des Juifs et des non- Juifs respectivement, mais il reste sous le régime de ce qu’il appelle « la loi du Christ » (v.21). Il ne dit pas, par exemple, « avec les idolâtres, j’ai été comme un idolâtre en vue de gagner les idolâtres » [5]…

Sommes-nous prêts à faire des sacrifices qui sont stratégiques pour le royaume – pour notre évangélisation ? Lorsqu’on apporte un message d’évangélisation, il faut faire l’effort de se renseigner sur son auditoire et de trouver des illustrations et des points d’accroche appropriés. Nous savons à partir d’une comparaison de ses discours en Actes 13 et en Actes 17 que l’entrée en matière de Paul peut varier considérablement selon l’auditoire. Mais l’effort doit se faire également au niveau de la prise de contact initiale et continue avec les gens. Est-ce normal d’exiger qu’ils entrent dans un bâtiment de « culte » ? Nous avons constaté lors de notre semaine d’évangélisation de février que mettre sur pied des événements qui conviennent aux divers groupes de personnes habitant à Woluwe implique beaucoup de travail. Alors qu’il est relativement facile d’adapter un culte du dimanche matin pour qu’il devienne un culte « portes ouvertes », cela requiert plus d’énergie et de bonne volonté d’organiser une soirée d’évangélisation dans un café/restaurant ou de transformer les locaux d’une Eglise en restaurant, d’organiser une soirée pour adolescents qui propose les meilleurs jeux-vidéos, de rendre visite aux gens du quartier chez eux ou de les rencontrer là où ils aiment s’assembler.

Nous ne nous sentirons pas toujours à l’aise ! Pourtant, nous devrions être prêts à faire des sacrifices quant à nos préférences personnelles dans le but d’en sauver quelques-uns.

Sommes-nous prêts à laisser de côté nos préférences dans le domaine de la consommation d’alcool (ou non) ou dans le domaine de la musique (l’orgue et les vieux cantiques ou les chants plus modernes avec accompagnement de batterie) selon les circonstances ? A force de faire ainsi preuve de souplesse, nous marcherons sur les traces non seulement de Paul mais encore du Christ (1 Co 10,31—11,1).

7. Comprendre l’importance de la prière

Qui est suffisant pour un tel travail (cf. 2 Co 2,16) ? Nous sommes obligés de nous tourner vers notre Père céleste qui seul peut nous équiper pour la tâche. L’attente biblique ordinaire, c’est que le royaume n’avance que là où nous faisons preuve de dépendance à son égard par la prière (Ep 6,10-20 ; Co 4,2-4 ; 2 Th 3,1). Par ailleurs, dès que nous sommes conscients de ce que nous avons affaire à un combat spirituel, notre réflexe devrait être de se mettre à genoux. Rappelons-nous que prier, c’est combattre (Co 4,12).

Nous devrions également prier afin que Dieu suscite des ouvriers pour la moisson (Mt 9,38). Ces ouvriers devraient être à leur tour des combattants dans la prière ! Je vous renvoie aux remarques sur Actes 6,4 dans l’article sur nos journées de prière qui se trouve ailleurs dans ce magazine.

8. Comprendre l’importance de l’exploitation des dons ainsi que de la collaboration

Remercions Dieu pour la variété des dons qui se trouvent au sein de nos Eglises. C’est un privilège de connaître plusieurs étudiants à l’IBB qui canalisent leurs dons pour l’œuvre de l’évangélisation. L’un d’entre eux a un fardeau pour les SDF qui s’assemblent près de la Gare du Midi ; un autre joue au football le mardi soir en vue de tisser de bons liens avec les gens de l’extérieur ; un autre est doué pour le contact avec les jeunes et se montre particulièrement inventif en créant des cadres attirants où l’Evangile peut être annoncé. Des apéros et des soupers chez soi ; du porte-à-porte ; des parcours de découverte sur plusieurs soirées…

Les formules sont multiples. Paul préconise toute sorte de moyens – tous les moyens possibles (1 Co 9,22) !

Mais là où existent des dons particuliers, ne pourrions-nous pas travailler davantage ensemble pour promouvoir leur exploitation pour le royaume ? Nous courons aujourd’hui le risque d’épouser l’individualisme de notre époque dans notre façon de faire l’évangélisation. La dimension corporative, collective de la tâche semble être un acquis néotestamentaire. Selon 1 Pierre 2,9, le peuple de Dieu collectivement constitue un sacerdoce royal, élu et mis à part en vue de déclarer les hauts faits de Dieu. C’est le peuple de Dieu collectivement à l’Eglise de Thessalonique qui est approuvé par Paul pour le fait que l’Evangile a retenti en Macédoine, en Achaïe et au-delà… Paul lui- même n’a pas fait cavalier seul ! Il suffit de jeter un coup d’œil à la liste de ses collaborateurs en Romains 16. En outre, dans l’épître aux Philippiens, nous constatons que ces croyants étaient bien engagés dans l’œuvre de l’Evangile de par leurs prières (1,19) et leurs dons (4,10-18), ainsi que par l’envoi en mission d’Epaphrodite…

9. Comprendre l’importance d’être en bonne santé spirituelle

Etant donné que l’activité d’évangélisation est difficile et coûte cher, nous risquons de ne pas l’entreprendre. Que faire pour nous motiver ? Notre point de départ, qui prime même sur notre amour pour les gens, devrait être une préoccupation pour l’honneur du nom de Dieu (Mt 6,9 ; Ep 1,6 ; 1,12 ; 1,14). Il est vrai que Dieu nous a rachetés en Christ parce qu’il nous aime (Jr 31,3 ; Rm 5,8 ; Ga 2,20 ; Ep 3,14-19), mais en même temps le courant théocentrique qui sous-tend notre salut doit être valorisé à sa juste mesure – et notamment l’accent mis dans les prophéties d’Esaïe et d’Ezéchiel et dans le livre de l’Apocalypse sur la suprématie majestueuse et sainte de notre grand Dieu. Dieu ne donnera aucunement sa gloire à un autre (Es 42,8 ; 48,11), et il accomplit ses promesses en rapport avec la nouvelle alliance principalement par souci de faire prévaloir la sainteté de son nom (Ez 36,16-32). Lorsque nous serons assis à table pour le souper de l’agneau, nous en serons conscients (Ap 19,1-8). Et si nous pouvions cultiver une jalousie pour l’honneur du nom de Dieu avant cet événement ? L’évangélisation en serait un bénéfice collatéral. En effet, nous nous glorifierions plus aisément dans la croix du Christ (cf. Ga 6,14) ; nous n’aurions pas honte de l’Evangile (Rm 1,16-17) ; de l’abondance de notre cœur notre bouche parlerait (Lc 6,45). De plus, notre comportement ferait davantage honneur à l’Evangile (Tt 2,3-10), et nous jouirions davantage de la liberté que cela apporte que d’être conscients de ce que Dieu maîtrise chaque détail des événements de la vie (Ep 1,11) – y compris pour ce qui est des personnes qui se trouvent sur notre chemin, des paroles que nous exprimons ou oublions d’exprimer, et du fait que nous sommes inévitablement une odeur de mort qui mène à la mort pour plusieurs (2 Co 2,15).

Pour que cette bonne santé spirituelle soit envisageable, il est essentiel que nous soyons immergés dans la parole de Dieu. Cela présuppose, entre autres, que nous soyons exposés à un enseignement solide, biblique, clair et bien appliqué au sein de nos Eglises.

Remarques à titre de conclusion

La tâche évangélisatrice [au 21ème siècle] en Europe francophone est décontenançante, et nous avons plus besoin de courage que de dons et de stratégie. Sommes-nous découragés ? N’oublions pas que c’est Dieu, l’évangéliste ! Nous sommes des ouvriers avec lui (1 Co 3,6-9), et c’est un grand privilège ! Dieu est à l’œuvre pour orchestrer la propagation d’un Evangile qui comporte sa propre dynamique (2 Tm 2,9 ; 2 Th 3,1 ; Co 1,9). Chaque personne de la Trinité agit pour nous permettre de garder le cap (2 Tm 1,8 ; 1,14 ; 2,1). Gardons les yeux rivés sur le royaume céleste, et restons soucieux de la gloire de celui qui nous a sauvés pour que nous partagions sa joie pour toute l’éternité (2 Tm 4,18 ; Mt 25,20-23).

[1] Le Maillon, mars 1987, p. 1-2.

[2] Ben PATTERSON, « The Inadequacy of “Yes” Theology », Leadership Journal, janvier 2004, http://www.christianitytoday.com/ le/currenttrends columns/leadershipweekly/cln40120.html.

[3] Cf. le titre de l’ouvrage de David BROWN : Passerelles, Entre l’évangile et nos contemporains ([email protected]), Marne-la-Vallée, Farel, 2003, 202 p.

[4] Le Maillon, automne 2007, p. 6-7 ; Les Echos de la vérité, premier trimestre 2007, p. 7.

[5] Cf. Donald A. CARSON, « Pauline Inconsistency: Reflections on I Corinthians 9.19-23 and Galatians 2.11-14 », Churchman 100, 1986, p. 13.


Note éditoriale : cet article a d’abord paru dans le magazine de l’Institut Biblique Belge, Le Maillon.

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