Cet été E21 vous re-propose quelques ressources. Cet article a initialement été publié le 30 avril 2015.
Je n’ai pas honte d’être de ceux qui pensent que les hommes et femmes ont des rôles complémentaires. Ça n’a jamais été un problème pour moi. Ma famille en était une pieuse expression. J’ai entendu des arguments convaincants de la part des héros qui ont influencé mon ministère. Plus que tout, les livres de C.S. Lewis comme Perelandra ont formé ma vision du genre.
Néanmoins, je n’insiste pas particulièrement sur cet aspect de ma théologie. Cela génère souvent une forte réaction quand il est présenté. Là où je vis, en Californie du Sud, cette position est en fait souvent considérée comme obsolète et particulièrement sexiste. Et dans notre culture, il est de plus en plus controversé d’affirmer, en s’appuyant sur la confession de foi de Évangile 21, que « hommes et femmes ne sont pas interchangeables, mais plutôt qu’ils se complètent l’un l’autre par des moyens mutuellement enrichissants. » Nous pouvons nous attendre à des réactions encore plus virulentes dans les années et les décennies à venir.
Mais comme mes amis se sont positionnés de part et d’autre sur le sujet, j’ai observé que les moins hostiles à la vision complémentaire des rôles évitent cependant de se décrire comme alliés de cette position. Parmi mes amis, certains sont tombés dans un entre-deux, entre la position qui soutient qu’hommes et femmes ont des rôles complémentaires et la position selon laquelle ils ont des rôles identiques; ils ont toujours une haute estime de l’Écriture; ils s’opposent souvent au féminisme agressif; ils apprécient souvent des ministères prônant la complémentarité des rôles entre l’homme et la femme (Francis Chan ou Tim Keller); sur le papier, ils sont souvent très proches de cette position.
Pourquoi refusent-ils donc de se décrire comme appartenant à la perspective complémentaire ? Parfois, ils sont simplement confus ou en proie au doute au sujet de la question. Mais le plus souvent, ils ont eu une mauvaise expérience avec une personne en particulier ou un groupe qui prônait la complémentarité homme-femme.
Je pense que nous avons besoin de discuter avec ces personnes modérées différemment que nous ne le faisons avec les personnes prônant réellement l’égalité des rôles homme-femme et les féministes agressifs. Je ne pense pas que se mettre à l’écoute de certaines de leurs critiques soit un signe de compromis. Après tout, certains problèmes contre lesquels ils réagissent sont réels. Á certains moments, les personnes soutenant la complémentarité homme-femme ont utilisé un langage provocateur et nuisible; à d’autres moments, nous avons manqué de douceur dans notre ton exagéré les implications de ce point de vue; et tragiquement, dans certaines cultures prônant cette complémentarité des rôles, les dons et les contributions féminines ont été écrasés ou du moins étouffés.
Évidemment, beaucoup de personnes montrent leur désaccord avec cette position de complémentarité des rôles (parfois même avec virulence), sans regarder à ce que nous disons ou faisons. Mais la vérité offense assez sans que nous ayons besoin d’ajouter nos propres fautes et nos maladresses à cette offense. C’est pourquoi je souhaite lister quatre dangers auxquels nous devrions être sensibles, même si nous restons fermement ancrés dans nos positions face à la pression de nos détracteurs les plus agressifs.
1. Stéréotyper les rôles.
Dans les cultures où l’on prône la complémentarité des rôles homme-femme, il peut être bien trop facile de confondre l’essence de la masculinité ou de la féminité avec l’une de leurs expressions particulières. Mais les mariages et les cultures d’église modelés par les convictions de la complémentarité des rôles entre hommes et femmes ne se manifesteront pas toujours de la même manière. Ils ont pris la forme et la beauté de personnalités, de lieux culturels, et de dynamiques relationnelles. Les principes fondamentaux n’ont pas changé, bien sûr, mais l’expression exacte (sic. « the exact feel ») a changé. Kathy Keller l’a bien montré dans l’ouvrage Le mariage (Clé, 2014): « les rôles bibliques (de chef et d’aide) sont contraignants, mais chaque couple doit découvrir comment cela va s’exprimer au sein de leur mariage. »
Dans une récente interview à propos de leur livre fort utile sur le sujet, Andreas et Maragret Köstenberger l’exprimèrent ainsi : « l’Écriture n’offre pas beaucoup de détails sur la manière dont le dessein de Dieu pour l’homme et la femme doit s’appliquer concrètement; par conséquent, une division traditionnelle du travail (les femmes en cuisine, changeant les couches; les hommes au travail, laissant aux femmes toutes les tâches domestiques) n’est pas l’expression du dessein biblique. »
De plus, la division du travail domestique n’est pas le seul point auquel s’applique ce principe. Pour ne prendre qu’un autre exemple, les personnalités et les tempéraments peuvent potentiellement être très stéréotypés. Parmi ceux qui tiennent à une expression plus traditionnelle, on entend souvent des revendications de ce genre :
• les hommes sont moins sensibles ou moins émotionnels que les femmes
• les hommes sont moins bavards que les femmes
• les hommes aiment davantage le sport que les femmes
Et ainsi de suite. Il est regrettable que certaines personnes soient rebutées par une vision complémentaire des rôles à cause de son association à de telles affirmations; ce sont des stéréotypes, et non des commandements bibliques.
2. Manquer de distinguer clairement entre la complémentarité des rôles et les diverses formes de patriarcat et de hiérarchisme.
Beaucoup de personnes issues de notre culture réfléchissent au genre en seulement deux catégories : conservateurs versus progressistes. Mais en vérité, la complémentarité des rôles au sens biblique (tel que l’Évangile la dépeint) est subversive pour la vision progressiste (selon laquelle il n’y a aucune différence quant aux fonctions des hommes et des femmes – nommée ‘égalitaire’ ci-dessous) comme pour la vision traditionnelle, hiérarchique et patriarcale qui tend à attribuer à l’homme un rôle plus important que la femme dans la société. La complémentarité des rôles se démarque de ces deux visions : elle est différente, plus belle et alternative, non seulement à Manhattan au XXIe siècle, mais aussi dans l’Inde ancienne, l’Europe médiévale et l’Amérique des années 50.
A cause de ces erreurs, il n’est pas suffisant d’affirmer simplement la complémentarité des rôles en opposition à la vision égalitaire. En réalité, la complémentarité doit être défendue contre toute vision qui s’oppose à la beauté d’Éphésiens 5. Si on nous entend seulement parler dans une direction, nous serons mis dans le même sac que les autres. Nous disons : « la vision égalitaire des rôles est mauvaise »; ils entendent : « le patriarcat est une bonne chose. » Si nous distinguons le point de vue biblique sur le genre des alternatives progressistes et conservatrices, nous encourageons les gens à percevoir sa nuance, sa beauté et sa profondeur.
3. Défendre une vision complémentaire des rôles avec zèle, mais en oubliant de le vivre en beauté.
Un réel danger nous guette quand le but (difficile) de défendre une vision complémentaire des rôles devient si important qu’il fait passer au second plan le but (encore plus difficile) de le vivre d’une belle façon; d’une façon qui soit source de vie.
L’intégrité théologique est difficile et importante; la piété et l’amour sont tout aussi importants, et probablement plus difficiles. Mais proclamer la vérité sans nous l’appliquer à nous-mêmes n’est pas qu’incomplet : c’est en réalité un retour en arrière.
Nous devrions travailler dur pour montrer que la complémentarité des rôles n’est pas simplement biblique, mais aussi qu’il s’agit d’une bonne et belle chose. Notre but n’est pas simplement d’être « fidèle » ou « vrai »; mais aussi d’être « sage » et « attirant ». Dans la mesure où cela dépend de nous, nos cultures d’église devraient être des lieux où les gens se sentent accueillis, mis en valeur et en sécurité.
Sans nul doute, certains verront l’expression de la complémentarité des rôles comme une menace. Mais d’autres pourront dire, en se reposant sur l’expérience de cultures d’église qui suivent l’exemple de Christ (incluant son respect pour les femmes) : « C’est beau. C’est sensé. C’est vrai. »
4. Oublier de célébrer la contribution des femmes.
Nous devrions être enthousiasmés par les myriades de moyens par lesquels Dieu appelle et utilise les femmes. Trop souvent, c’est plus une concession qu’un sujet de joie pour ceux qui tiennent à une vision complémentaire des rôles entre hommes et femmes. Trop d’églises prônant cette vision sont non seulement dirigées par des hommes, mais comptent également dans leurs ministères une présence masculine très supérieure.
Dans la Bible, les femmes sont engagées dans le ministère de différentes façons. Pour ne citer qu’un exemple : beaucoup de femmes tout au long de l’Ancien Testament étaient des prophétesses (Myriam, Déborah, Hulda, et ainsi de suite), et dans le Nouveau Testament, le don de prophétie est clairement offert aux hommes comme aux femmes (Actes 2:17-18, 21:9, 1 Corinthiens 11:5). Dans notre contexte de complémentarité des rôles, cherchons-nous à prendre en considération ces exemples ? Et si nous croyons en la cessation des dons charismatiques, cherchons-nous à mettre en œuvre ce principe ? Faisons-nous la même place aux deux genres afin qu’ils exercent leurs dons spirituels pour l’édification du corps de Christ ?
Soyons moins effrayés d’affirmer ce qui est interdit que d’interdire ce qui est affirmé. Et peu importe les erreurs que nous sommes tentés de faire sur cette question, que le Seigneur nous donne la grâce de trouver le chemin étroit marqué par tant de courage, et de l’humilité, le chemin qui mène à la fois à la vérité et à la beauté.
Traduction : Charlotte Delbecque